Jag de Bellouet, on l'appelait le "Cannibale"
C'est une légende qui s'est éteinte ce lundi 3 février 2025. Jag de Bellouet s'en est allé à 28 ans, poussant son dernier souffle au Haras de la Cour où il coulait sa retraite. Comme avec la disparition il y a plus de six mois de Général du Pommeau, c'est une page de l'Histoire des courses qui se tourne avec le décès de celui qui était surnommé "Le Cannibale". Il reste le dernier double vainqueur la même année des Prix d'Amérique et de Cornulier.
Qelle image la mémoire collective gardera-t-elle de Jag de Bellouet (Viking's Way) ? Très probablement celle du champion complet du début du 21ème siècle, capable d'exceller à l'attelé et au monté, comme le montrent ses succès dans le Prix d'Amérique et le Prix de Cornulier, au palmarès duquel son nom nom apparaît en 2005 pour le premier (en 2006, il fut distancé de la 1ère place pour un contrôle positif à la suite d'une contamination accidentelle d'un lot de vitamines) et trois années de suite avec le tout jeune Matthieu Abrivard, entre 2004 et 2006, année où il s'imposa avec la monte à l'ancienne contrairement à ses rivaux, pour le second. En cela, il fut un parfait témoin de la transition entre le 20ème et le 21ème siècle, doté d'une telle dureté qu'il pouvait négocier la montée de Vincennes en troisième épaisseur comme le faisaient les "anciens" avant lui et d'une capacité à soutenir une accélération qui le rapproche des standards modernes.
Acheté yearling à Deauville à son éleveur Jean-Claude Monthéan, Jag de Bellouet ne tarda pas à s'illustrer. "Pourtant sous sa "carrosserie" fragile se cachait un des plus gros "moteurs" vu sur les pistes de trot, écrit ainsi Jacques Pauc dans "50 ans de course et de rencontres" (Dollar Édition). Et, malgré une certaine inconstance, "Jag" dévoila sa qualité jeune, d'abord au monté (1er Prix Édouard Marcillac au début de son année de 3 ans), puis à l'attelage (Prix Ariste Hémard à 4 ans), avant de s'épanouir totalement à 6 ans, "âge où il s'est vraiment soudé" (dixit Christophe Gallier)." Dès lors, Jag de Bellouet allait se forger l'un des palmarès les plus exceptionnels et complets du trot tricolore (plus de 4,2 millions d'euros), avec une douzaine de Groupes I dont le Prix de France et le Prix de Paris, mais aussi trois Prix de l'Atlantique et deux Prix René Ballière.
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À l'étranger, sa disqualification de l'Elitloppet qu'il avait gagné en 2006 dans un temps record (1'09''4) pour contrôle positif (un problème de rémanence du produit selon son entourage) laissera un goût amer, alors qu'il remporta un mois plus tard le Kymi Grand Prix. La dernière apparition en piste du "Cannibale" fut en janvier 2007, à 10 ans, quand il fut fautif dans le Prix d'Amérique. Quelques mois plus tard, Christophe Gallier annoncera la fin de sa carrière.
La réaction de Christophe Gallier
La carrière du "Cannibale" sera à jamais associée à celle de Christophe Gallier. Lui qui a pris un certain recul sur l'activité trotteuse quelques années après la retraite de son crack nous a livré sa première réaction : "Cela faisait un petit moment que je ne l'avais pas vu. Sa santé commençait à se dégrader et je souhaitais garder une belle image de lui. Il est et restera le cheval de ma vie. Tout le monde souhaite croiser un jour un tel crack dans sa carrière. J'ai eu la chance de l'avoir peu de temps après mon installation et j'ai rapidement compris que nous avions un cheval d'exception. J'ai débuté en 2000 et "Jag" gagnait son Prix d'Amérique en 2005. À cette époque nous étions jeunes et fougueux et je ne me posais pas de question, c'est ce qu'il fallait. Il a gagné tellement de belles épreuves qu'il est difficile d'en détacher une, mais sa victoire dans le Prix René Ballière en 2005 était sûrement sa plus belle performance sportive. Il avait parcouru l'ensemble des 2.100 mètres en troisième épaisseur en s'imposant en 1'10''1 devant Love You et Jeanbat Du Vivier.
Il avait son tempérament et il fallait rester vigilant car il
était assez voyant, c'est ce qu'il lui avait fait défaut en début de
carrière. Les courses les plus faciles à gagner avec lui étaient sur la
courte distance et les pistes plates. Il n'était pas très à l'aise à
partir en montant et lorsqu'il arrivait sur les tracés comme celui
d'Enghien, il était à son affaire comme le prouvent ses trois succès
dans le Prix de l'Atlantique.
J'ai eu la chance de le côtoyer et je remercie toutes les personnes qui
l'ont accompagné tout au long de sa carrière sportive et ensuite au
haras jusqu'à sa retraite."
"Il est et restera le cheval de ma vie". (Christophe Gallier)
Matthieu Abrivard : "C'était une machine"
"J'ai eu la chance de lui être associé juste après mon passage dans le rang des professionnels. C'est lui qui a lancé ma carrière. Il était capable de faire des choses très impressionnantes en course et sur toutes les distances. C'était une machine et très intelligent de surcroît. Il savait lire et écrire. Il répondait toujours à mes sollicitations en course mais n'en faisait pas plus. Souvent, Christophe me demandait de l'appuyer jusqu'à la sortie des heats car sinon il s'arrêtait dès le poteau passé et ne faisait pas la récupération nécessaire. Sa dernière victoire dans le Cornulier restera sûrement mon plus beau souvenir car nous étions peut-être moins attendus et il s'était envolé. C'est également la première fois où j'utilisais les artifices car les fois précédentes, j'étais emballé. Ses victoires à l'attelage étaient impressionnantes, son mano à mano avec Kesaco Phedo dans le Prix de l'Atlantique était magnifique. Jag ? Il faisait partie de la famille."
La réaction de Michel Gallier
"Même
s’il avait 28 ans, c’est dur de savoir qu’il n’est plus là. Je suis
ému. On ne pouvait pas le laisser souffrir. C’est un cheval qui
comprenait tout. Il avait une âme. Il avait un mental exceptionnel mais
aussi un physique que j’ai très souvent manipulé et massé. C’est dur. Il
faut continuer à vivre. J’ai eu de la réussite aussi avec des produits,
que ce soit Opus Viervil, Vittel De Brevol ou encore Granvillaise Bleue. Il fallait comprendre ses produits, beaucoup ne les ont pas compris. Ce ne sont pas des chevaux précoces."